Quand la vie nous fait mal



Oui, la vie peut faire mal … mais cela, on le sait tous, et peu importe notre âge. Pourtant, j’espère que vous le savez sans l’avoir vécu directement. Sans avoir eu à affronter ce que la vie a de pire à donner. Bien sûr cela arrivera, et c’est aussi cela qui nous construit et nous oblige à nous relever, après être tombés. C’est ainsi que nous acquérons notre force. Mais parfois les coups sont trop tôt arrivés, ou trop durs à encaisser, ou bien trop nombreux. Et alors, à moins que nous ne soyons véritablement plus puissants que la normale et si nous n’avons personne pour nous servir de pilier, l’effondrement est bien trop proche pour l’ignorer et malheureusement trop menaçant.

Ce thème, la douleur, le chagrin, la souffrance, revient beaucoup dans la littérature pour adolescents …  n’allons cependant pas en déduire que les adolescents n’aiment que les romans tristes (tout de même !) ou –pire- aiment souffrir (nous ne sommes pas masochistes !). Cependant, s’ils ont un penchant pour le tragique et le tourbillon d’émotions, c’est bien parce qu’ils aiment ressentir et ont besoin, en effet, de se construire.

Après tout, ne dit-on pas que les enfants ont besoin de lire des livres, voir des films, des spectacles qui leur font peur ? N’est-ce pas cela qui leur permet de découvrir cette émotion, l’expérimenter, l’apprivoiser et comprendre aussi que le monde n’est pas tout doux et gentil ? Il leur faut apprendre à se méfier (un peu), être prudents (toujours) tout en sachant apprécier ce frisson, pas méchant, qui nous prend dans une situation de danger, tant que celui-ci n’est pas trop important !
Et moi je suis persuadé qu’à l’adolescence, et peut-être même après -mais qu’en sais-je moi qui n’ai encore que 17 ans ?-, on a aussi se besoin de ressentir et de découvrir. Je qualifie souvent un livre de coup de cœur parce qu’il m’a bouleversé, chamboulé, renversé, traversé de part en part. Quand je lis un livre, pour y trouver du plaisir j’ai besoin d’être ému : en joie aussi, bien sûr, rire, m’attacher, aimer, mais lorsqu’un roman est capable de m’amener là, dans l’équilibre précaire du bord d’un précipice de larmes, c’est qu’il est extraordinaire.

Voici donc quelques romans qui viennent bousculer le lecteur, qui m’ont plu –ou pas– mais qui sont en tout cas tous empreint d’une puissance émotionnelle parfois dévastatrice.

collection Exprim' - 224p - 14€90
Prenez Bloc de haine, la dernière parution de la collection  Exprim’ (Sarbacane). Voyez ce titre évocateur, laissant déjà une idée de ce qu’il désigne. Attardez-vous un peu sur cette couverture choc, le visage durci par les deux couleurs qui le composent et cette omniprésence de trois uniques couleurs justement. Enfin ouvrez-le et laissez-vous emporter …
Pour être honnête, j’ai justement eu du mal avec ce roman, tant il était provocateur. Le personnage principal, Alex, est incarcéré pour homicide et c’est son histoire qu’on suit, celle de son passé, celle de son présent, les deux entremêlées pour construire son futur. Et c’est sa voix qu’on entend. La voix d’un meurtrier. La voix d’un homophobe et surtout la voix d’un raciste. Car c’est là la cause de son acte et le moteur de toute sa rage, incontrôlable, mystérieuse aussi.
Je me rends bien compte que tout l’enjeu du roman est là … et si ce roman bouscule, c’est notamment, selon moi, par l’enjeu littéraire qui apparaît : peut-on faire d’un personnage à priori détestable le héros d’un roman ? Le défi de l’auteur alors, c’est que le lecteur s’y attache … et ça marche. Parfois.
En outre, le récit est très bien mené, le style maîtrisé bien que quelques fois vraiment vulgaire et le livre se lit très facilement et rapidement. Je n’ai pas eu trop de mal à y entrer et il a su me captiver jusqu’au bout … et jusqu’à une fin néanmoins très belle qui ouvre ce destin tragique sur mille et une possibilités que l’auteur laisse au lecteur le soin de développer.
Un roman captivant qui arrive à  relever de grands enjeux … je reste quand même indécis, sans pour autant nier que c’est un livre qui, une fois de plus, prouve que la collection Exprim’ sait faire de la littérature adolescente une vraie littérature ; innovatrice, percutante, originale.

collection Emotions - 306p - 13€
Il arrive justement que de tels tons tragiques et assumés ne fonctionnent pas très bien. Alors que pour Bloc de haine le ton, l’histoire, le personnage dérangeaient mais allaient au bout d’un véritable défi, j’ai eu plus de mal encore avec Ecoute battre mon cœur. Bien qu’une fois de plus j’ai été captivé, j’ai eu du mal en effet, pas à m’attacher aux personnages, mais à trouver l’histoire réellement crédible.
L’auteur en effet joue la carte tragique à fond, jusqu’au bout. Après tout c’est un roman de la collection Emotions chez Flammarion … et l’émotion ici, c’est la passion. Autant dire que Nathalie Le Gendre s’y est tenue et de ce point de vue là on ne lui reprochera pas. Puisqu’une passion aveugle, pousse à tout faire pour l’assouvir, alors les conséquences pourront en être que graves, voire tragiques … mais cela ne va-t-il pas trop loin ? Les choses m’ont parfois semblées exacerbées. Le lecteur est servi en fugues, accidents, disputes, amour fusionnel, crises de folie. Au bout d’un moment, c’est trop.
Néanmoins, j’ai lu le roman avec une réelle envie d’aller jusqu’au bout, les personnages étant attachants, le style porteur, l’histoire vraiment captivante mais surtout, la passion dévorante. L’auteur transmet un réel amour pour la musique qu’on ne peut que partager, surtout si comme moi on est pianiste et adepte de musique en général.
Me voilà donc encore une fois indécis entre les enjeux difficilement relevés, la passion exacerbée et pourtant l’attention toute entière consacrée à cette histoire.

(VO) Barrington Stoke - 80p - 9€
Puisqu’on parle de passion et de tragédie, alors parlons de Falling de Cat Clarke, cette auteure qui a tendance à aller vers ces thèmes-là durs et percutants. Le suicide dans Confusion et Revanche, le harcèlement moral dans ce dernier, l’homophobie aussi … et dans Falling ce sont ces thèmes qui apparaissent plus ou moins différemment.
C’est l’histoire d’Anna. Anna un peu perdue. Elle aime Cam, c’est genre, le mec parfait. Mais elle l’a trompé. Et il y a Tilly, sa meilleure amie, lesbienne, qu’elle tient à caser. A voir heureuse quoi. Puisque c’est son amie. Mais ce soir-là, une soirée organisée par Cam, tout est bouleversé.
De révélation en retournement de situation, le lecteur va dans une spirale qui commence en fin d’après-midi, dans le cadre idyllique et paisible, à peine orageux (métaphoriquement, le temps lui est parfait) de la propriété de ce petit copain … et s’achève au cœur de la soirée, alors que de l’alcool a été bu, des mots prononcés, des larmes versées, des pensées tournées et retournées dans les têtes et les tourments subis. Les personnages s’égarent en eux-mêmes. Et malheureusement, le cadre n’est pas là pour les aider.
Cat Clarke dresse un décor qui semble devenir de plus en plus angoissant. On a l’impression de voir la musique devenir nuisance sonore, les ados, les amis une foule compacte infranchissable et dangereuse, la maison un lieu de tous dangers.
C’est vraiment cette image que je retiens de ce texte anglais court mais puissant : une spirale. De mot en mot on s’enfonce dans les tourments des personnages qui deviennent nôtres.
Comment devient-on adulte ? Comment arrive-t-on à surmonter les épreuves que nous oppose la vie ? Comment comprend-on qui on est et qui on aime ? Comment se dépêtrer de toutes ces questions, comprendre quand on se ment à soi-même, accepter et vivre avec cela ? Comment faire quand c’est trop tard ? C’est toutes ces questions que Cat Clarke pose avec justesse, force plutôt que délicatesse, émotion plutôt que discrétion et avec talent, c’est indéniable.
Un véritable coup de poing coup de que ce morceau brut de sentiments, mais aussi de souffrance, d’amour et de vie.

Enfin, j’aimerais conclure sur le coup de de mon mois d’Avril, sur une ouverture à d’autres thèmes, sur ce roman qui paraît inoffensif … avant d’exploser en vous.
collection R - 384p  18€90
Lucides est une histoire dans laquelle on a pourtant un peu de mal à entrer pour certains au bout d’une cinquantaine de pages ce n’est toujours pas ça, pour d’autres, comme moi, il ne faut qu’un chapitre ou deux. Il faut dire que c’est déroutant. Il y a Maggie, actrice, avec un père décédé, une mère pas toujours très présente et une petite sœur à laquelle elle tient plus que tout. Et dans les rêves de Maggie comme  Sloane est dans ceux de Maggie, il y a Sloane. Une étudiante intelligente, vierge, peut-être bientôt amoureuse, avec une famille complète bien que les liens soient parfois difficiles à entretenir, et deux meilleurs amis … dont l’un est décédé.
On suit avec beaucoup de plaisir les histoires de ces deux personnages tous deux intensément attachants. J’ai regretté quelques facilités d’intrigues ou quelques clichés mais je suis resté pantois devant la richesse du style, l’extrême intensité transmise par un vocabulaire tout aussi étendu chez un auteur que chez l’autre et donc admirablement transmis par un traducteur talentueux … et alors que l’intrigue progresse on commence à entasser les questions dans un coin de notre esprit et l’issue crédible ou du moins satisfaisante pour le lecteur semble impossible. On parle du nœud d’une intrigue … et celui-ci est véritablement bien noué !
Et alors vient la fin. Viennent les 150 dernières pages. Vient la perte du lecteur dans son esprit, sa lecture, l’intrigue, ses certitudes. Vient son immersion totale dans l’état d’esprit des personnages. Vient l’émotion … vient l’impression de devenir fou.
Jamais, non jamais et je pèse mes mots, je n’avais ressenti quelque chose de semblable pour un roman. Jamais je ne m’étais senti à ce point embarqué dans l’esprit des protagonistes. Il ne s’agit alors plus d’identification, d’attachement, d’échos à notre propre vie … non, il s’agit d’utiliser l’écriture comme le meilleur des outils, comme une arme pour perdre le lecteur tout en le manipulant pour l’emmener exactement là où on souhaite. Et j’adore. J’adore que les mots aient pu avoir un tel pouvoir, j’adore que ressentir cela ait pu être possible.
Tout simplement, j’adore que ce roman m’ait à ce point surpris sur une fin époustouflante, juste, touchante et véritablement réussie. Le début aurait pu être encore plus intriguant, car en garder trop pour la fin, on perd quelques lecteurs, mais ce final est tellement intense que je ressors profondément conquis par cette lecture aux questionnements infinis.

Peut-être en effet les rêves sont-ils le Salut, quand on ne trouve même plus dans son propre univers la force de vivre, d’avancer. Peut-être a-t-on besoin d’un soutien, et puisque celui-ci n’est pas, il faut le trouver loin, quitte à ce que cela soit un inconnu … ou plus ?
Le monde des rêves regorge de secrets et de mystères que les deux auteurs ont su éclairer sur des zones d’ombres encore trop peu inexploitées en littérature. C’est réussi. C’est époustouflant. Et c’est fascinant.

Alors n’oubliez jamais cela. Puisque la vie a son lot de chagrins, plus ou moins importants à nous opposer, aimez, soyez entourées de personnes bienveillantes et, dans la nuit de votre esprit ou dans les livres : rêvez.