L'interview du Dimanche #6


Photo: Les histoires sans fin
« Je m’appelle Tibo Bérard et je suis responsable de la collection Exprim’ aux éditions Sarbacane depuis 6 ans. » Voilà comment il se présente à vous ! ... Mon aventure avec Exprim' a commencé lorsque j'ai eu en partenariat sur le forum Club de Lecture L'enfant nucléaire de Daph Nobody. Après publication de ma chronique, j'ai été contacté pour être partenaire parce que l'éditeur avait beaucoup aimé mon avis ! J'ai donc lu ensuite Traverser la nuit de Martine Pouchain. J'ai donc de la collection une courte expérience que j'espère enrichir parce que ces deux lectures m'ont marqué (notamment la première ...). Ce sont deux livres singuliers et uniques comme on en croise pas souvent ... Et si nous avons beaucoup retravaillé le texte final, ça a été l'occasion de passer un bon moment en parlant -en direct à l'oral !- de la collection avec Tibo Bérard qui est un homme passionné par ce qu'il fait ...

  • Et c’est vous qui avez créé la collection Exprim' ?

                    Oui, en synergie avec toute l’équipe de Sarbacane, bien entendu. J’étais journaliste pour un magazine littéraire avant d’être éditeur et, en voyant arriver la production romanesque sur mes tables, qu’elle soit jeunesse ou adulte, j’ai eu des idées. Et d’abord, l’envie de proposer en littérature française de l’énergie, du rock’n’roll, une forme d’audace à l’américaine. Quand le magazine pour lequel je travaillais s’est arrêté, j’ai rencontré Sarbacane, une maison d’édition à l’époque uniquement spécialisée dans l’album pour enfants, indépendante (elle fêtera ses 10 ans en 2013 !). Ils avaient envie de lancer une collection de romans, nous nous sommes très vite rencontrés sur des idées, des envies, des intuitions. C’est ainsi qu’est née Exprim’. 

    Pour EXPRIM', l'idée était de donner à entendre notre envie d'audace, de truculence, notre rapport "ogresque" au livre et à la lecture. EXPRIM' comme "écoutons des auteurs qui osent, qui hurlent, qui sonnent !" La musicalité est une donnée importante de la ligne éditoriale. Avec le X de EXPRIM', on voulait aussi suggérer qu'on serait une zone libre ù rien ne serait interdit, où les fantaisies des auteurs seraient vraiment mises en valeur, sans limite.

  • En tant que responsable, quel est votre rôle exact dans la vie de la collection et de ses publications ?
  •                 La première chose consiste à définir la ligne éditoriale de l’édition – et le cas échéant, à la faire évoluer au fil des années, car une collection « vit » au-delà des concepts, au contact de ses auteurs, des libraires, des lecteurs…

    Exprim’, ce sont des livres qui se distinguent par leur écriture d’abord, leur langue inventive, leur énergie. Ce sont des auteurs français qui sont publiés sauf pour Stephen Chbosky, dont j’ai publié le livre The Perks of being a wallflower (Pas Raccord en France) il y a quelques années – une adaptation au cinéma sort d’ailleurs aux États-Unis cet automne, avec Emma Watson et Logan Lerman.
                    Ensuite trouver des auteurs. Le principe de la collection étant de faire entendre de nouvelles voix, j’ai publié dans un premier temps, pour une grande majorité, des premiers romans (j’accompagne les auteurs ensuite, sur leur deuxième, troisième, quatrième roman…) Je les ai dénichés sur les scènes musicales (slam, hip-hop), sur Internet aussi… J’ai vécu ainsi beaucoup de rencontres « miraculeuses », de hasards qui n’en sont pas tout à fait : mon intuition éditoriale a rencontré les envies artistiques de ces auteurs, souvent jeunes, et bien décidés à bousculer les codes littéraires pour produire une littérature très vivante, musicale, explosive.
                   
    Vient ensuite le travail sur les manuscrits avec les auteurs. La première version d’un roman est toujours un manuscrit perfectible, qu’il faut pousser plus loin. Je propose des idées pour retravailler la structure, approfondir le style, imaginer de nouvelles pistes narratives… et on discute, on cisèle, on s’amuse. Le livre passe souvent par 6 ou 7 versions avant qu’il ne soit publié.
                    J’interviens alors pour choisir la couverture et aider la graphiste à la réaliser. Je lui parle de l’univers du livre, des films auxquels il me fait penser, de l’ambiance, du ton…
                    Et pour finir on imprime le livre. Ensuite, il faut le « porter », le défendre sur les salons, les festivals, auprès de la presse – et des bloggeurs !
  • Avez-vous parmi vos romans des publications préférées ?

                    J’adore tous mes « bébés » sans exception, mais c’est normal. Je n’en publie que dix par an, et chacun est donc un vrai coup de cœur, à 200 %. En revanche, il y a des romans qu’on a, à certains moments, plus de facilité à mettre en avant, ou dont on parle souvent pendant une certaine période parce qu’ils peuvent correspondre à des moments de notre vie où ils nous font du bien, où ils nous donnent de l’énergie… Enfin, certains romans sont plus universels que d’autres – y compris à l’intérieur même de la production d’un auteur, qui alternera par exemple un roman assez pointu et un autre plus populaire –, et il m’arrive de savoir à l’avance qu’un livre va toucher plus de gens qu’un autre. Par exemple, on a eu beaucoup de retours de bloggeuses qui ont été déroutées par L’enfant nucléaire parce qu’elles le trouvaient choquant, ou trop horrifique. Le ne Pouchain… Là encore, les auteurs savent souvent, selon le sujet choisi et la façon de le traiter, à quel moment ils produisent un roman très ouvert, très universel, et à quel moment ils sont plutôt dans un genre de livre qui aura de vrais fans, mais peut-être un moins grand nombre de lecteurs. Par exemple, Rolland Auda, qui a publié un roman vraiment excellent mais assez pointu, Le Dévastateur, va publier en janvier 2013 un roman uchronique « steampunk » avec des piratesses et des montres marins, qui à mon avis va CARTONNER !!! C’est une merveille d’imagination et de fantaisie : L’Équipée Volage.
  • Parlez nous de vos lectures, lisez-vous de la jeunesse ?

                    Assez peu, à vrai dire.  Si j’aime certains auteurs comme Guillaume Guéraud ou Sylvie Deshors, beaucoup de romans publiés en jeunesse me semblent encore trop formatés, trop gentillets… Chez Exprim’, en fait, on publie des livres qui peuvent toucher les jeunes et les adultes. On a envie de faire bouger ce secteur pour qu’il devienne LE lieu de l’innovation, de la prise de risques… (cf question précédente pour faire le lien avec L’enfant nucléaire). De fait, la littérature française contemporaine, en général, m’attire rarement, je lui préfère nettement la littérature américaine, des auteurs comme Chuck Palahniuck (Fight Club), Hubert Selby Jr, Ellroy… J’aime beaucoup les Russes aussi, Gogol, Boulgakov, et d’une façon générale les auteurs « céliniens », qui malaxent la langue, qui osent des choses. J’ai eu récemment une claque magistrale à la lecture de La Horde du contrevent, d’Alain Damasio – un Français, tiens ! Globalement, voilà ce que j’aime : les univers déjantés, délirants… l’inventivité au service du plaisir de l’histoire !
  • [Adaptations cinématographiques] Comment cela se passe ? 
  •                 (cité plus haut) The Perks of being a wallflower est donc adapté au cinéma – mais il s’agit là d’un roman américain, nous avons donc suivi cela d’assez loin. En revanche, il y a dans notre catalogue deux livres en cours d’adaptation, Du plomb dans le crâne d’Insa Sané et Mes idées folles d’Axl Cendres. On est d’abord contactés par la boîte de production, qui réserve les droits pour une certaine période, le temps de trouver des financements, et on propose alors que l’auteur du livre soit scénariste si celui-ci peut et veut le faire – parfois cen’est pas le cas mais pour ces deux auteurs-là, si. Ensuite, on peut occasionnellement faire des suggestions, discuter avec le producteur de l’univers du roman, du ton, etc … mais si le projet se concrétise, le roman – et c’est ça qui est beau – ne nous appartient plus tout à fait, il devient une création du producteur et du réalisateur choisi.
  •                 Nous en sommes ensuite venus à parler des bande-son des livres. En effet, au début de chaque livre vous trouverez une bande-son associée au roman. Tibo Bérard explique : « Je voulais refléter l’aspect musical et moderne des pratiques d’écriture et de lecture d’aujourd’hui. Je demande à l’auteur de réaliser ces bande-son à partir des musiques écoutées pendant l’écriture ou qui s’associent bien au livre, qui en dessinent l’univers musical… »